Un cas d'école pour comprendre ce qu'est la macronieEn 2015, lors d'un numéro du magazine «Cash investigation», la journaliste Elise Lucet s'entretenait avec le professeur Jean-François Bergmann au sujet des conflits d'intérêts dans l'industrie pharmaceutique.
«Je n'ai jamais travaillé sur Crestor avec AstraZeneca»
Le hic, c'est qu'au moment où il a voté pour le Crestor, il touchait des revenus d'AstraZeneca. Elise Lucet: «Mai 2010 par exemple, la Commission se réunit pour une extension de la mise sur le marché du Crestor. Donc c'est bien une extension de la mise sur le marché d'un blockbuster de AstraZeneca, le Crestor. Et ce n'est pas anodin puisque cela va permettre aux médecins de prescrire ce médicament en prévention. Donc on voit tout de suite l'ouverture du marché que ça peut représenter et ça va même permettre aussi de prescrire aux enfants de plus de dix ans. Vous y étiez à cette réunion ?» Pr Jean-François Bergmann: «Je n'ai jamais travaillé sur Crestor avec AstraZeneca.»
«Ici, c'est votre nom, vous étiez bien présent»
Elise Lucet: «Mais ce n'est pas ça ma question. Ma question c'est: Est-ce que vous étiez en tant que vice-président de la Commission d'autorisation de mise sur le marché à cette réunion ?» Pr Jean-François Bergmann: «Vous faisiez quoi vous le 10 mai 2010 ?» Elise Lucet: «Si je regarde dans mes agendas je vais peut-être retrouver. Ici, c'est votre nom, vous étiez bien présent. Là il y a la petite croix pour dire: Présent. Ce qui est intéressant c'est de voir, et là on lit: les dossiers ont été approuvés à l'unanimité des membres présents, sans modification. La réglementation depuis 2005 elle est clairement écrite. L’Agence de Sécurité du Médicament dit clairement que: Si l'implication des membres est importante, notamment avec des rémunérations personnelles, ce qui est votre cas, ce médecin ne doit pas prendre part au vote.»
«Vous restez pour donner votre avis sur un dossier auquel vous ne connaissez rien et pour un laboratoire avec lequel vous travaillez»
Pr Jean-François Bergmann: «Il m’est arrivé, assez peu d'ailleurs, mais il m’est arrivé de sortir de la salle» Elise Lucet: «Et bien ce jour-là vous n'êtes pas sorti.» Pr Jean-François Bergmann: «Et bien ce jour-là je ne suis pas sorti parce qu'encore une fois, ce n'est pas à moi de faire l'application de la gestion des liens d'intérêts. C'était la mission de l'ANSM. D'autre part, parce que je n'ai aucune compétence sur le Crestor.» Elise Lucet: «Donc ça veut dire que vous restez pour donner votre avis sur un dossier auquel vous ne connaissez rien et pour un laboratoire avec lequel vous travaillez. Pourquoi à un moment vous ne vous dites pas: «Je travaille avec ce laboratoire, donc comme il est écrit dans la réglementation, je sors de cette salle ?»
«Un médecin qui deviendra en 2001: le PDG d'AstraZeneca France»
Pr Jean-François Bergmann: «Je travaille aussi, comme vous l'avez dit, avec Sanofi et avec GSK, si je ne peux pas assister aux discussions concernant les produits de la firme et les concurrents des produits de la firme, je passe mon temps dans le couloir.» Les liens de Jean-François Bergmann avec les firmes ne se résument pas à quelques contrats, ils sont aussi affectifs. Lorsqu'il était médecin à l'hôpital Lariboisière, il a partagé son bureau avec un certain Robert Dahan. Un médecin qui deviendra en 2001: le PDG d'AstraZeneca France. Les deux hommes scelleront leur amitié quelques années plus tard en montant ensemble une société de conseil pour les laboratoires pharmaceutiques.
«C'est ça le vrai lien d'intérêt»
Elise Lucet: «Puisqu'on reparle d'AstraZeneca, est-ce que vous connaissez Robert Dahan? Je crois que vous le connaissez très bien.» Pr Jean-François Bergmann: «Oui» Elise Lucet: «Comment vous le qualifiez par rapport à vous ?» Pr Jean-François Bergmann: «C'est un ami à moi, oui.» Elise Lucet: «Parce que Robert Dahan a été patron d'AstraZeneca pendant 8 ans. AstraZeneca France.» Pr Jean-François Bergmann: «Oui, oui, tout à fait.» Elise Lucet: «Donc on se dit que ça renforce les liens, obligatoirement.» Pr Jean-François Bergmann: «C'est ça le vrai lien d'intérêt. Le vrai intérêt ce n’est pas celui qu'on déclare parce qu'on va gagner 250 euros de l'heure. Le vrai lien d’intérêt : C'est l'amour, c'est la haine, c’est les copains et c'est les ennemis. C'est ce qu'on veut avoir dans le collimateur parce que ci, parce que ça. Et tout le problème, c'est que ça ne se déclare pas ça.»
«Une certaine Christine Bergmann, son épouse»
Ah la haine, les copains, mais aussi l'amour. A l'époque des faits, la responsable de la formation médicale d'AstraZeneca était une certaine Christine Bergmann, son épouse. Ce n'est pas nous qui le disons. C'est écrit dans la déclaration d'intérêt de l'expert. Sans tous ces amis, la firme aurait-elle obtenu aussi facilement l'autorisation de prescrire le Crestor en traitement préventif? Un marché de plus de 1 milliard d'euros.
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